Historique de la Franche-Comté et du château de Chaux-des-Crotenay

Texte de Thierry Pasteur et Valbert Pique paru dans le Cahier ArchéoJuraSites N°2

Sources

  • Wikipédia ;
  • G. Barbier et J.-Cl. Protet (2015) - Au temps des châteaux forts dans le Jura ;
  • R. Chambelland (1937) - Historique de la Baronnie de la Chaux ;
  • J.-B. Guillaume (1757) - Histoire généalogique des sires de Salins au comté de Bourgogne, avec des notes historiques et généalogiques sur l'ancienne noblesse.

 

Le château de Chaux-des-Crotenay est un témoin et un acteur parmi d’autres de la tumultueuse histoire comtoise. La région, de par sa position géographique au cœur de l’Europe, a connu bien des bouleversements sans pour autant modifier ses frontières. Il est difficile de comprendre l’histoire locale  sans prendre de la hauteur et s’intéresser à la grande histoire.  Quel comtois n’a pas entendu dire “avant on était espagnol !” sans pouvoir donner du sens à cette phrase.  Mais le cliché est totalement faux : en effet la Comté n’a jamais été d’obédience espagnole (à part le cas particulier de Besançon, ville à laquelle Charles Quint à donner ses armes). Il faut considérer la Franche-Comté comme un état indépendant, même si la Comté a été alliée au royaume du Saint Empire romain germanique. La langue officielle parlée a toujours été le Français.

 

Le texte ci-après tente de mettre en relation l’historique de la baronnie de Chaux des-Crotenay à la destinée régionale de la Comté entre France et Saint-Empire.

 


La Bourgogne mérovingienne et carolingienne

La Bourgogne dont la Franche-Comté faisait alors partie, fut érigée en royaume mérovingien avant d'être réunie à l'Austrasie et à la Neustrie de la nouvelle dynastie carolingienne. Charlemagne, fils de Pépin le Bref, refonda l'organisation administrative de ses terres, les partageant en deux cents comtés, cinq pour notre région. Chacune était dirigée par un comte dépendant directement de l'empereur. L'Abbaye de Saint-Oyend (Saint-Claude) avait pris peu à peu son essor dès le VIIIème siècle. Au IXème  siècle, elle était un centre ecclésiastique et de pèlerinage de renom dans le monde carolingien et contrôlait un vaste territoire étendu jusqu'à Vallorbe au nord. La paroisse de Chaux-des-Crotenay était issue de celle de Sirod qui était affiliée à l’abbaye de Saint Oyend. La mort de Louis Le Pieux (fils de Charlemagne) en 840 marqua le retour des guerres de succession et le partage de l'empire carolingien en trois entités : les terres à l'est de la Saône (la Franche-Comté) furent séparées de celles à l'ouest par le traité de Verdun-sur-le-Doubs en 843. La Franche-Comté fut alors intégrée à la Francie médiane ou Lotharingie dirigée par Lothaire, petit-fils de Charlemagne alors que la Bourgogne dépendait de la Francie occidentale, embryon du royaume de France. À l'est, la Francie orientale annonçait le futur Saint Empire Germanique.

 

L'anarchie s'imposa, facilitée par l'affaiblissement du pouvoir central. Un système féodal  émergea, incarné par des seigneurs locaux qui rivalisaient entre eux de façon brutale parfois. Apparurent alors les premiers châteaux en bois et les places renforcées telles que Poligny, Fraisans, Montmorot, Château-Chalon, la Chatelaine, Bracon. En 1026, les dénominations “duché” (approximativement l'actuelle Bourgogne) resté français et “comté” de Bourgogne (Franche-Comté) virent le jour.

 


Rattachement à l'empire germanique

Le 15 novembre 1037, le Comté de Bourgogne  fut  rattaché à l' Empire germanique. L'ensemble des territoires du Comté, mouvant au cours des siècles, correspondait  globalement à l'actuelle région de Franche-Comté. Le comté rejoignait l'actuel pays de Montbéliard dans la mouvance germanique.

 

Histoire de la Chaux
Quelques décennies auparavant, en 942, Albéric,  originaire de Narbonne vint s'implanter sur les bords de la Saône. Par mariage, il hérita du Comté puis agrandit ses possessions vers le Haut-Jura, attiré par Salins et ses Salines (sources d’une grande richesse, en effet le sel a de tous temps été un moyen de conservation des denrées alimentaires). Le pays était dévasté par les récentes intrusions des Sarrasins et des Hongrois. En 943, l'abbé d'Agaune remit à Albéric Salins et ses possessions le val de Miège et la paroisse de Sirod. Naissait alors la puissante famille des sires de Salins qui possédèrent les territoires du Haut-Doubs et du Haut-Jura. En 1043, l’empereur allemand Henri III du Saint-Empire vint à Besançon pour se fiancer avec Agnès d’Aquitaine (nièce du comte Renaud Ier de Bourgogne et fille du duc Guillaume V d’Aquitaine). À cette occasion, l’archevêque  Hugues Ier de Salins obtint des droits régaliens sur la ville de Besançon. Il fut nommé prince de l’empire allemand (rang juste en dessous de l’empereur) et régna en souverain sur la cité, lui et ses successeurs. Il échappa au pouvoir des comtes de Bourgogne. C’est à cette période que fut créée l’abbaye de Balerne, qui va devenir une abbaye très importante du monde chrétien. Un siècle plus tard environ, un lointain descendant d'Albéric, Humbert IV, hérita des territoires allant des portes de Salins aux sommets du Jura et comprenant les châtellenies de Montrivel et de Château-Villain. Le sire de Salins fit élever le château de Mont Rivel. Sa fille Nicolette (Nicole) épousa vers 1170 un seigneur lorrain dont la famille était originaire de Haute-Saône, Simon de Broyes-Commercy qui fit ériger en 1186 le château Villain proche de Sirod. Pour compléter le système défensif de son fief, il ordonna la construction du château de Chaux-des-Crotenay. Le petit fils de Simon de Commercy, Gaucher Ier, promit en 1240 de ne plus construire de nouveaux châteaux sur ses terres.

 

À la même époque approximativement, le comte de Bourgogne, Guillaume II, devait faire face à de puissants seigneurs locaux. Lointain héritage de la loi Gombette de 502, ces derniers se transmettaient de père en fils terres et châteaux du pays  . Il fut assassiné par certains de ces barons en 1125. Par mariage, l’Empereur Frédéric Hohenstaufen dit Barberousse fut couronné comte et roi de Bourgogne en  1178. Alors que la baronnie de la Chaux s'équipait d'un robuste château, la proche baronnie des Salins était vendue au duc de Bourgogne. Mais en ce début du XIIIème siècle, la famille des Chalon installée sur les bords de la Saône avait des vues sur ces terres jurassiennes. En 1237 par le traité de Saint-Jean-de-Losne, cette famille échangeait avec le duc de Bourgogne les comtés de Chalon et d’Auxonne contre la baronnie de Salins et d’autres terres comtoises, augmentant grandement sa richesse grâce aux salines. À l’image de la maison de Salins trois siècles auparavant, la maison des Chalon allait vite régner en maître dans le Jura.

 

Jean de Chalon Ier (1190 - 1267), dit Jean l'Antique, devint le véritable seigneur de la province. Il reçut l'hommage de Gaucher Ier, sire de Mont-Rivel, Château-Villain. Ce vassal s'engageait à ne plus construire de nouvelles forteresses dans ses baronnies. Jean l'Antique venait-il est vrai d'élever le château de l'Aigle à Chaux-du-Dombief.  Il ordonna  cependant la construction du château de Nozeroy de 1237 à 1262 pour défendre le val de Mièges (Nozeroy, Conte, Sirod, Richebourg, Bourg-de-Sirod) et étendit sa domination à Mouthe, La Rivière et Jougne dans le Haut-Doubs. Il contrôlait ainsi le chemin de la Suisse. Au sud, il achetait les salines de Lons-le-Saunier défendues par les forteresses du Pin puis d'Arlay. Jean l’Antique, fondateur de la branche des Chalon-Arlay, prince d’Orange,  mourut en 1267. Son fils Jean de Chalon-Arlay lui succédait. Dans le Cartulaire de Hugues de Chalon (1220-1319), Gaucher de Broyes-Commercy reconnaissait le 6 juillet 1286 (probablement 1236), avoir dans ses fiefs un certain Escrotenay ce qui fait de ce document la plus ancienne mention de la Chaux jusqu’à présent. “Es” pourrait être le diminutif de Essart (terre défrichée), qui est devenu plus tard par un glissement sémantique régionale “ Chaux” qui  désigne une terre nue, gagnée donc sur la forêt.

 


Le comté de Bourgogne sous la monarchie française

Othon IV, fils de Hugues de Chalon et petit fils de Jean l'Antique, entra en conflit avec son oncle Jean de Chalon-Arlay qui fit appel à l’empereur Rodolphe 1er de Habsbourg.

 

Ces événements conduisirent Othon IV à chercher des appuis du côté de la France. Le 2 mars 1295, par la convention de Vincennes, il décida de vendre le comté au roi de France, Philippe le Bel. Le comté de Bourgogne passa sous influence française bien que relevant toujours de la suzeraineté germanique. La plupart des barons comtois, menés par Jean de Chalon-Arlay, refusèrent cet accord et prirent les armes contre les Français.

Mais Philippe le Bel gagna peu à peu leur confiance et réussit à ramener le pays au calme. En 1301, ces fougueux barons se rendirent à Paris pour s'avouer vassaux du roi.

Le comté demeura entre les mains de Philippe le Bel, puis de son fils Philippe V le Long qui le donna en viager à sa femme Jeanne II de Bourgogne.À sa mort elle laissa le comté à sa fille aînée, Jeanne III de Bourgogne qui avait épousé le duc de Bourgogne, Eudes IV en 1318. Eudes IV devint donc le gendre du roi de France. L'histoire se répéta dans la mesure où les barons comtois menés par Jean II de Chalon-Arlay se révoltèrent à nouveau contre le joug français incarné par Eudes IV, duc de Bourgogne rappelons-le. Ce dernier mata  les comtois à la bataille de la Malecombe en 1336.

 

Le duché et le comté de Bourgogne se retrouvèrent ainsi unis durant près de deux siècles. Entre 1346 et 1349, la peste noire ravagea la Bourgogne et dépeupla très fortement villes et villages. En 1364, Hugues de Chalons-Arlay obtint de l'empereur Charles IV, les droits de l'empire sur Besançon. C'est en 1366 qu'apparut le terme de Franche-Comté pour désigner le comté de Bourgogne. Le duché et le comté de Bourgogne furent alors brièvement séparés.

 

Le jeu des filiations fit entrer la famille d’Arbon dans la baronnie de la Chaux en remplacement des Commercy. Etienne d’Arbon, sire de la Chaux, affranchit les habitants de Cize en 1356. Les gages furent payés en son château de Chaux-des-Crotenay. Le document fut d’ailleurs la première mention de la forteresse et du seigneur de la Chaux et de Cize. Son fils Jacques d'Arbon réunit la baronnie de La Chaux et de Château-Villain. Il fit hommage à Jean de Chalon en 1392. Son fils Jacques II d'Arbon remit ses terres au fils de sa sœur  mariée à Jean de Granvillers. Ce même neveu  prit la main de Gérarde de Falletans. Devenue veuve, Gérarde épousa en second mariage vers l'an 1430 un jeune noble originaire de Poligny, Jean II de Poligny dit de Poupet. Ainsi, les terres de La Chaux passèrent brièvement de la famille d'Arbon à celle de Granvillers (environ quarante ans), puis à la lignée des Poupet. La dynastie d'Arbon survécut un peu plus d'un siècle dans une Europe et une Comté ravagée par la peste noire notamment de 1347 à 1362. Les terres retournèrent en friche.

 


Duché et Comté : un destin commun

Blason des comtes de Bourgogne à partir de 1280.
Le roi Philippe V dit le Long mourut en 1322 sans descendant mâle. Son frère cadet Charles IV le Bel lui succéda alors mais décéda en 1328 lui aussi sans descendant mâle. Son cousin Philippe de Valois prit alors la couronne sous le nom de Philippe VI, roi de France de 1328 à 1350. L'année suivant la bataille de la Malecombe, 1337,  marqua le début de la guerre de cent ans. Eudes IV apporta alors son soutien au roi de France Philippe VI son beau-frère mais fut emporté par la peste en 1349. Philippe de Rouvres, petit-fils de Eudes IV, hérita alors de la Bourgogne.
 
En 1350, Jean II dit Jean Le Bon succéda à son père au trône de France jusqu'en 1364. Il dirigea les affaires du duché de Bourgogne en 1361 après la mort de Philippe de Rouvres. Le comté de Bourgogne revint à Marguerite de France, fille de Jeanne II elle-même épouse de Philippe V. Marguerite de France était la sœur de Jeanne III citée plus haut et qui avait hérité du comté jusqu'à sa mort en 1347. Marguerite aura la jouissance de la comté de 1361 à 1382. En 1384 sa petite fille Marguerite de Flandre, épouse de Philippe le Hardi, premier duc de Bourgogne de la maison Valois et frère du roi de France Charles V, hérita à son tour du comté de Bourgogne. (Charles V succéda à son père Jean le Bon en 1364).

Ainsi se réalisa jusqu’en 1477 l'union des deux Bourgognes qui permit aux Valois d'édifier un puissant État au cœur de l'Europe occidentale, entre le royaume de France à l'ouest et le Saint-Empire à l'est. Ce destin commun des deux Bourgognes fortes forgera un certain nationalisme franc-comtois.

 

Les ducs-comtes dotèrent la Comté d'institutions solides. Le Parlement de Dole, entre autres, fut créé en 1386 ; la cité gérait l’administration et la justice. Besançon régissait les affaires religieuses et Gray les aspects militaires. Cette même année, Charles VI arriva au trône mais sombrera vite dans la folie alors que son épouse originaire de Bavière avait permis un rapprochement entre la couronne de France et le Saint Empire grâce au duc de Bourgogne Philippe le Hardi, oncle de Charles VI. Philippe le Bon, duc de Bourgogne et père de Charles le Téméraire, créa l’université de Dole et renforça son parlement. Il signa une paix provisoire avec Charles VII en 1435.

 

C'est approximativement à la naissance de Charles le Téméraire, en 1430,  que Jean II de Poupet, prit ses quartiers dans le château de La Chaux. On se souvient que ce jeune noble installait la famille Poupet dans la baronnie par son mariage avec la veuve de Granvillers, Gérarde de Falletans. Le fils de Jean de Poupet, Guillaume, seigneur de La Chaux, fut dans un premier temps receveur des finances des salines de Salins puis fut nommé en 1447 receveur des finances par Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Puis Charles le Téméraire, fils de Philippe le bon, en succédant à son père au duché de Bourgogne, honora Guillaume du titre de maître d'hôtel.
 
En 1437, Louis de Chalon-Arlay entreprit la reconstruction du prestigieux château féodal de Nozeroy comme un symbole de la domination et du contrôle  sur les barons comtois.

À la mort de Philippe le Bon en 1467, son fils Charles le Téméraire cherchera durant dix ans à unifier un grand état jusqu’à la mer du nord en passant par la Lorraine. Le peuple et les barons comtois n'avaient pas la même estime pour leur nouveau duc très dépensier. Charles le Téméraire institua en effet la gabelle dans la Comté, jusque-là fière de sa franchise, pour nourrir ses prétentions territoriales et tenir tête au roi de France Louis XI à partir de 1467.

Charles voulait s'affranchir de la souveraineté française et mena pour cela une politique expansionniste en achetant la Haute Alsace et le Sungau. Les Suisses s'inquiétèrent de cette nouvelle donne territoriale à l'ouest alors que leur voisin oriental n'était autre que le Saint Empire peu estimé. Les Helvètes lancèrent alors une première offensive à Pontarlier et Héricourt  et Charles répondit en 1476 après s'être assuré une trêve contre son ennemi Louis XI. Il leva une troupe de 40 000 soldats pour livrer bataille à Grandson puis à Morat proches du lac de Neuchâtel. La résistance suisse anéantit l'armée de Charles contrainte de se replier au château de Nozeroy et à La Rivière proche de Pontarlier.  Il mourut peu après à Nancy. Le peuple comtois, éprouvé par l'effort de guerre consenti face aux Suisses, subit alors l'assaut de l'armée française par l'ouest.   “Il est temps d'employer vos cinq sens de nature à mettre le duché et le comté de Bourgogne en mes mains” affirma le monarque français.

 

Les occupants suisses de la Franche-Comté furent vite remplacés par les armées du roi de France. Car à sa mort, Charles le Téméraire ne laissa qu’une fille : Marie de Bourgogne âgée de vingt ans. Cette dernière devint donc l’héritière du puissant état bourguignon. Son père lui légua un vaste territoire des Pays-Bas aux deux Bourgognes (duché et comté) mais un état hétérogène et fragilisé par le conflit. Le roi de France Louis XI  proposa  un mariage avec son fils le dauphin Charles. Mais Marie refusa de s’unir avec le fils de l'ennemi héréditaire de son père. Elle préféra  Maximilien d’Autriche héritier des Habsbourg et futur empereur romain germanique. Malgré cette union célébrée le 19 août 1477,  Louis XI s'accrocha à  ses ambitions territoriales. Il annexa d’abord légalement le duché de Bourgogne avec une certaine allégeance de ses notables. Mais, il n’eut pas de droit sur la Franche-Comté. Aussi suivis par le peuple, les nobles comtois se soulevèrent : les troupes royales françaises  furent contraintes de repasser la Saône.

Les seigneurs bourguignons, provisoirement rendus à la cause de Louis XI, chassèrent à leur tour les garnisons royales. Charles d'Amboise succéda à La Tremouille aux commandes des armées françaises en 1477. Il joua vainement la carte diplomatique dans le duché puis échoua à nouveau militairement devant Dole et Gray. Après un an de trêve, Dole sera incendiée au cours de l’hiver 1478-79 avant le ravage punitif de toute la province. D'Amboise entreprit la démilitarisation méthodique des places fortes comtoises. La couleuvrine, un nouveau canon, créait des brèches dans les murailles, les rendant vulnérables et inutiles défensivement. Il semble que les châteaux de Chaux-des-Crotenay, Scey-en-Varais dans la vallée de la Loue et Joux aient été épargnés.

L’anecdote ironique raconta que Louis XI  vint en pèlerinage à Saint-Claude, terre ennemie.

 

En 1482, Marie de Bourgogne décéda dans un accident de chasse. Elle laissa pour le Comté de Bourgogne et les Pays-Bas une seule héritière : sa fille Marguerite alors que son fils Philippe le Beau devait hériter de l’empire des Habsbourg . En 1483, le traité d'Arras signé entre Louis XI et Maximilien de Habsbourg entérina l'union entre le dauphin Charles VIII et la très jeune Marguerite de Bourgogne qui donna une Comté vaincue et dévastée à la France. Louis XI mourut cette même année. Charles VIII accéda au trône et obtint l'allégeance des états bourguignons qui reçurent en retour le rétablissement des droits des villes et des châteaux et le rétablissement du parlement, l'université et les franchises en Comté.

En 1488, Charles VIII préféra épouser Anne de Bretagne, l’héritière du duché du même nom. Outré de l'affront fait à sa fille, Maximilien reconquit la Franche-Comté au cours d'une victorieuse bataille entre Nans-sous-Sainte Anne et Salins en 1493. Le traité de Senlis officialisa ce retour dans le giron impérial.  La province en sortit renforcée. Les fortifications furent consolidées et Joux  reprise aux Suisses. Charles VIII mourut accidentellement en 1498. Quant à Marguerite de Bourgogne, elle assurera l'éducation et la tutelle du futur Charles Quint avant de décéder en 1530.

 


La Franche-Comté des Habsbourg

Maximilien de Habsbourg laissa le gouvernement des Pays-Bas et de la Franche-Comté à son fils Philippe le Beau qui  mourut trois ans plus tard. Son fils Charles Quint n’avait que six ans en 1506. Le pouvoir de la Comté fut délégué à un gouverneur et au Parlement de Dole. Ce dernier avait alors le pouvoir de statuer sur toutes les questions, qu'elles soient politiques, économiques ou militaires.  Avec l'avènement de Charles Quint, la province qui jouissait déjà d'une confortable autonomie connut son Âge d'or. Ainsi, il lui octroya nombre de privilèges commerciaux et monétaires, donnant par exemple à la ville de Besançon le droit de battre monnaie. La collégiale (église) de Dole était  en  grand chantier, les hôtels particuliers sortaient de terre et les châteaux se transformaient à la recherche d'un confort que la Renaissance laissait entrevoir.  Charles Quint s'entoura de nombreux Comtois dans l'art des armes et du verbe (diplomates talentueux).

 

Charles de Poupet, fils de Guillaume, avait imposé  un blason pour sa seigneurie de la Chaux : de gueules à une tour d'argent sommée de trois merlettes. Le père Guillaume hissa haut les honneurs de la famille aux yeux de la maison d'Allemagne. Il faut dire que l'épouse de Frédéric III (Barberousse) fut prise de douleur lors d'un voyage qui la conduisit non loin de Chaux-des-Crotenay. Elle fut accueillie au château de Chaux par Guillaume qui, en échange, fut introduit à la cour impériale. Son fils Charles à son tour reçut sur ses terres l'Empereur Maximilien en 1503, puis l'archiduc Philippe le Beau, fils de l'empereur et de Marie de Bourgogne, elle-même fille de Charles le Téméraire. Charles de Poupet œuvra activement dans le giron de l'empereur en devenant le propre conseiller de la régence de Charles Quint à partir de 1516. Il fut même ambassadeur auprès du Saint-Siège, il intrigua  pour que le 9 mars 1522 Adrien Florent devienne le  Pape Adrien VI.

 

La destinée de l'arrière-petit-fils de Charles le Téméraire fut remarquable. Au décès de Philippe le Beau, son fils Charles devint duc de Bourgogne, souverain des Pays Bas et de la Franche-Comté. La mort de son grand-père Ferdinand II d'Aragon le propulsa roi d'Aragon, de Naples et de Sicile. Celle de son autre grand-père Maximilien lui ouvrit les portes des duchés autrichiens. En 1519, il fut couronné par le pape empereur du Saint Empire romain germanique à Aix-la-Chapelle. Charles devint Charles Quint, Charles V, cinquième d'une longue dynastie !

Durant ces années relativement calmes, la Franche-Comté se conforta et prospéra, et ne dut à l'Empire qu'un don gratuit (un impôt consenti librement), fixé par le Parlement. À la fin de son règne en 1556, Charles Quint salua l'attachement et la fidélité des Comtois envers l'Espagne. Philippe II succéda à l'empereur.

En 1583, la dynastie des Poupet fut remplacée par  la famille de la Baume (la plus riche de la région) . Louis de la Baume  succédait à son oncle Guillaume de Poupet, abbé de Baume-les-Messieurs.

 

En 1595, Henri IV déclara la guerre à l'Espagne et envahit alors la Franche-Comté le 5  février par le nord puis Vesoul. Les campagnes furent ravagées mais la plupart des villes firent face : Dole, Gray, Poligny, Arbois, Besançon tenaient bon alors que le renfort impérial se faisait attendre. Salins attaqué le 5 mars résista, obligeant les troupes françaises à se replier plus au nord à Quingey, Pesme ou Marnay.  L'armée mandatée par Philippe II décida finalement de secourir la province au printemps, avec succès. Henri IV contre-attaqua en personne, progressa vers le sud jusqu'à Salins qui résista à nouveau. Après une halte à Montigny-les-Arsures, le monarque poursuivit sa chevauchée méridionale et brutale vers Présilly, Orgelet, Oliferne, Chevreaux et Saint Amour. Il quitta la Comté fin août pour gagner Lyon. Les forces impériales reprirent le contrôle du nord au sud et malgré des poches de résistance françaises à Château Chalon et à Vaugrenans, la Franche-Comté fut libérée fin septembre et échappa à nouveau au rattachement à la couronne de France. Le traité de Vervins signé en 1598, mit fin au conflit entre la France et l'Espagne, renouvelant le traité de neutralité.

L'âge d'or comtois s'acheva bel et bien ! Le “Grand Siècle” naissant n'avait de grand que l'acharnement infligé à la province : crise météorologique, famines, épidémies de peste et annexion militaire française …

 


La guerre de trente ans en Europe, la guerre de dix Ans en Comté

La peste sévit dès 1629. Dans de nombreux villages des plateaux, dont Chaux des Crotenay, la population  baissa de moitié. Cette épidémie tira sa révérence six ans après. La population comtoise diminuée et affamée allait accueillir un nouveau fléau ... La Comté était une enclave au cœur d'un royaume de France agrandi par l'annexion de la Bresse, du Bugey et du pays de Gex voisins. Comment Louis XIII, fils d'Henri IV, ne convoiterait-il pas cette terre si éloignée de Madrid ? La France voulait surtout s’emparer d’une région riche en sel très recherché mais elle légitima l’invasion  de la Franche-Comté parce qu’elle avait toujours parlé français et qu’elle devait de ce fait revenir au royaume.

En 1636, Richelieu décida d'attaquer Dole, capitale de la Franche-Comté, et le siège du Parlement.

 

Plan (tibériade) de la Chaux des Crotenay au Vaudioux et à Syam.
 s.d. [XVIIème s.] - Archives départementales du jura 123 J plan 1-2.
L’église et le château de Chaux-des-Crotenay (carte orientée vers le sud).
 
Le prince Henri II de Bourbon-Condé mena les 15 000 soldats des troupes françaises contre 4 000 Dolois. Tous les assauts furent repoussés, semaine après semaine. Le 15 août 1636, la cité fut libérée après un siège de trois mois. Mais en 1637, seules Dole, Salins, Gray et Besançon échappèrent au fer et au feu des troupes françaises du duc de Longueville. Sur ordre de Richelieu, le duc Saxe de Weimar et ses mercenaires allemands “les suédois”, descendirent d'Alsace et menèrent des exactions impitoyables de St-Hippolyte à St-Claude. Une guérilla spontanée s'organisa grâce au baron d'Arnans qui délogera en mai 1639 le nouveau commandant français réfugié au château de la Chaux. Le château Villain, possession de Watteville, ne fut pas détruit pour l’aide fournie par le comtois à l’armée française.  Le duc de Weimar était décédé de la peste en juillet 1638.  Les populations comtoises avaient fui en Suisse et en Italie ou s’étaient réfugiées dans les nombreuses grottes du massif jurassien. La forêt reprit ses droits sur des cultures délaissées. Le conflit dura encore jusqu'en 1648 et le traité des Pyrénées signé plus tard en 1659 entre Louis XIV et Philippe IV roi d'Espagne officialisait la paix. Mais le roi de France avait des vues sur la Comté qui devait naturellement lui revenir.

 


La conquête française

La population comtoise se releva lentement, juste pour voir revenir les troupes françaises en 1668. Trente mille soldats sublimés par la présence du monarque en personne. Les villes n'offrirent aucune résistance. Les châteaux de Joux, Château-Villain et La Chaux furent occupés par des garnisons et les villages devaient le git et le couvert aux soldats en quartier d'hiver. Pourtant le traité d'Aix-la-Chapelle restitua la Franche-Comté à l'Espagne en mai 1668. Les troupes françaises se retirèrent.

 

Dès lors, Chaux-des-Crotenay et sa forteresse accordèrent dans un premier temps asile au marquis de Listenois et sa vingtaine de cavaliers s'opposant à Madrid qui avait durci son autorité sur la province puis accueillirent une armée de villageois sous les ordres du capitaine local Thomas Lesay et prête à tenir tête au retour des français.
Ce retour eut lieu en 1674, la France ayant à nouveau déclaré la guerre à l'Espagne. Les campagnes comtoises résistèrent durement mais les villes démunies de leurs remparts déposèrent les armes rapidement. Six mois de résistance puis la Comté céda. Louis XIV ordonna de démolir les forteresses, La Chaux fut démantelée, les tours et les murs jetés dans les fossés. Le village hébergea de force durant six mois une garnison de cavaliers français. Plus généralement, l'occupation de la région dura quatre ans.  En 1678, le traité de Nimègue scellait définitivement le sort de la Comté, nouvelle province française.
La paix durable permit la prospérité de la Franche-Comté où tout était à redresser : la démographie et  l’économie. La construction des églises et nouveaux clochers incarnait cet essor rural du XVIIIème siècle. En 1720, la baronnie de la Chaux, propriété des seigneurs de la Baume (famille ruinée), fut mise en vente et achetée par Jean-Baptiste Frémiot décédé en 1776. Deux ans plus tard, Jean-Baptiste Guérillot, capitaine de l’armée, acquérait la seigneurie qui resta dans cette famille jusqu’en 2014.

 


Le point de vue de Voltaire

Dans Le Siècle de Louis XIV (1751), Voltaire explique cet attachement des Comtois à l'Espagne par ces mots :

 

“Cette province, assez pauvre en argent mais très fertile, bien peuplée, étendue en long de quarante lieues et large de vingt, avait le nom de Franche et l'était en effet. Les rois d'Espagne en étaient plutôt les protecteurs que les maîtres. Quoique ce pays fût du gouvernement de la Flandre, il n’en dépendait que peu. Toute l’administration était partagée et disputée entre le parlement et le gouverneur de la Franche-Comté. Le peuple jouissait de grands privilèges, toujours respectés par la Cour de Madrid qui ménageait une province jalouse de ses droits, et voisine de la France. Besançon même se gouvernait comme une ville impériale.”

 

“Jamais peuple ne vécut sous une administration plus douce, et ne fut si attaché à ses souverains. Son amour pour la maison d'Autriche s'est conservé pendant deux générations ; mais cet amour était, au fond, celui de la liberté.”

 

Carte Postale éditée d'après un tableau de Fernand MICHALET

 

Traité de Nimègue

 

Au milieu d'une médaille qui représente la mort du brave Capitaine Lacuzon, et dont l'exergue porte : Dulce est pro patria mori, un guerrier se précipite du haut d'un rocher dans un abyme. Ce fut ainsi que se termina la vie d'un homme qui combattit pendant sept année pour la liberté de son pays. Au-dessus de cette médaille est attachée aux branches d'un pin du nord, emblème des montagnards, la devise de Besançon. Les armes de Charles-Quint sont appendues à un mélèze et du coté opposé un arbre, dépouillé de feuilles, indique la campagne de la conquête de 1673, qui se fit en hiver. Le double aigle indique la diète germanique. Au-dessous le génie de la province est entouré des trophées des principales villes de la FRANCHE- COMTE : Besançon, Dole, Lons le Saulnier, Vesoul et Gray. Nous devons l'élégance qui se fait remarquer dans l'ajustement de ce dessin à M. Charles Percier, qui a bien voulu se distraire un moment de ses admirables travaux pour nous aider à élever le monument que nous avons consacré à la patrie. Nous sentons d'autant plus le prix de cette faveur que M. Charles Percier a déjà payé sa dette à son pays, et qu'il est du petit nombre de ces hommes qui ont le bonheur de connaître l'opinion de la postérité sur les ouvrages par la gloire qu'ils ont acquis.

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